La pandémie du Covid 19 s'annonce difficile pour les PME… mais heureusement, nous vivons dans un pays extraordinaire, formidable, toujours prêt à sauver son économie, comme il l’a montré lors du grounding de SwissAir ou de la crise financière de 2008. Comme à son habitude, le Conseil fédéral n’a pas failli. Il a annoncé qu’il supporterait ses PME dans l’adversité grâce aux 42 mia. de francs suisses de liquidités qu’il injectera pour maintenir l'économie (le 20 mars 2020 le CF a adopté « un train de mesures complet visant à atténuer les conséquences économiques de la propagation du coronavirus », dont l’objectif explicite « est de soutenir, si nécessaire, les branches concernées et d’amortir les conséquences économiques qu’entraînent pour les entreprises et les employés les mesures prises par les autorités pour lutter contre la propagation du COVID-19 » (mesures COVID-19 et communiqué de presse du Conseil fédéral). Les excédents budgétaires de ces dernières années seront mis au profit de ceux qui y ont contribué. En tant que petite entreprise qui connait la crise, nous sommes soulagés et saluons ce juste retour des choses.
La surprise passée, nous relativisons notre lecture naïve et spontanée des premiers jours. A y regarder de plus près, voilà ce que nous voyons. Nous louons des locaux que nous ne pouvons exploiter pendant le confinement, nous devons pouvoir continuer de vivre, payer des assurances, des charges fixes, des remboursements de prêts, amortissements divers, etc. qui continuent, malgré la situation d'urgence et le fait que le ralentissement de l'économie réduit les rentrées à peau de chagrin. Plus de cashflow! Les liquidités promises seront principalement distribuées sous trois formes: tout d’abord, des allocations pour perte de gain, ensuite des allocations pour réduction de l'horaire de travail (chômage partiel) et enfin, le cautionnement de prêts qui pourront être contractés sans intérêt auprès de banques. Du coup, pour nos salaires, c’est super, il semblerait que nous puissions bénéficier des facilités du chômage technique, avec pleins de nouveautés révolutionnaires : suppression du délai de carence, apprentis payés, indemnité accordée même aux employeurs (bon, après faut voir les montants… mais ça c’est une autre histoire) et qu’exceptionnellement les indépendants pourront toucher des indemnités APG (pour lesquelles ils ont soit dit en passant cotisé..). Pour les loyers, on nous laisse un petit peu de répit, mais bon, faudra quand même payer ! Et pour ce qui est des charges fixes et tout le reste, on fait comment ? … euh, ben, empruntez de l’argent !!! Nous nous portons garants et imposons aux banques d’appliquer un taux 0% sur ces prêts (0%, vraiment ?) ! HOURRA ! YIPPIEEE YAH ! Nous ne ferons pas faillite ce mois !
Mais alors, c’est quoi ces 42 mia et ils passent où ? Une partie semble utilisée pour les frais supplémentaires engendrés par les mesures liées au chômage technique et les prestations APG pour les indépendants, ainsi que pour soutenir d’autres secteurs d’activité, comme la culture, le sport, le tourisme etc.. Mais au final, le plus gros poste, ça reste le cautionnement des prêts (avec des prêts souscrits à hauteur de plus de 10 milliards et ce n’est pas fini… il semble aux dernières nouvelles, oh surprise, que les entreprises aient encore besoin d’argent et que la Conf va rallonger la sauce ... Ou alors c’était juste un poisson d’avril). Mais comment ça marche cette histoire de prêt ? Pour nous prêter du pognon et émettre de la dette, les banques vont emprunter à taux négatif auprès de la BNS. Elles nous prêtent ensuite du pognon à taux zéro (ou 0.5% si plus de CHF 500'000.-), et au passage encaissent des rentes grâce aux taux négatifs. Et la Confédération helvétique (en fait nous et nos impôts) va partiellement cautionner ces prêts, grâce aux réserves conjoncturelles (en fait aussi nous…). Bref, la Confédération n'injecte pas grand-chose, mais permet plutôt aux banques de gonfler leur bilan de quelques milliards, avec en bonus un petit susucre (différence entre le taux négatif et le taux zéro). Et dans le fond, c’est cautionné par... nous.
Voilà, voilà, est-ce qu’on ne se foutrait pas un peu de notre gueule ?
En plus, on peut voir une certaine incohérence dans ce train de mesures, ou en tout cas, une vision assez limitée dans le temps. D’un côté, on couvre les salaires immédiats par le chômage technique dans le but de préserver les emplois et de l’autre on propose aux entreprises d’emprunter de l’argent, plutôt que de compenser leurs pertes subies pendant la pandémie. Ces prêts devront être amortis, ce qui diminuera leur capacité financière, les contraindra à réduire la voilure et potentiellement à se séparer de collaborateurs sur le moyen terme. On ne fait que repousser le problème en l’étalant dans le temps et en faisant porter les conséquences des mesures de santé publique nécessaires, qui ont été prises pour le bien commun, par une fraction de la communauté. Dans l’économie réelle, il n’y a pas d’argent magique.
Au jour 6 du confinement, un espoir avait grandi en nous. On a vu (ou cru voir) les autorités prendre des mesures drastiques au nom de la santé publique, faisant fi des intérêts économiques. Un réveil des consciences ? Verrons-nous, au lendemain du Corona, le Conseil fédéral se lancer dans une politique engagée en faveur des enjeux écologiques et de justice sociale? On pouvait encore croire que la frilosité de la politique suisse dans ces domaines s’expliquait par l’impalpabilité du problème et qu'il ne s'agissait pas d'un refus délibéré de remettre en question le status quo. Au fur et à mesure de l’évolution (et vu ce qu’on a raconté avant), on déchante un peu et on se rend compte que nos espoirs semblent vains….. La réaction face à cette crise déçoit, en ce qu’elle s’inscrit dans une logique de médiocrité et de court-termisme déjà observée lors de crises précédentes : les mesures prises face à l’urgence sanitaire pourtant immédiate et bien palpable sont assez molles et défendent en priorité les intérêts d’une économie déconnectée de la réalité et du tissu économique. On gonfle le budget des banques, on donne un quasi-monopole à la grande distribution (interdisant les marchés locaux, ce qui est difficilement justifiable du point du vue sanitaire, au contraire). Les PME qui représentent 99% du tissu économique, elles, peinent à sentir la manne du ruissellement promis.
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Oui, merci vous mettez par écrit exactement ce que je pense et ça fait du bien!! Mon compagnon et moi même sommes indépendants et nous vivons à présent au jour le jour, avec tellement d'incertitude pour le futur et nous sentons lâchés par la Confédération.... Merci à vous pour vos mots... Laure
Pourquoi avoir fermé le mag’ ? La fromagerie Macheret Lausanne est ouverte, le magasin de thé “Touthé” a Riponne est ouvert, et même les “drinks of the world” dont je ne suis pas fan sont ouverts...
Répondu par: Site Owner Sur 05/04/2020 En trois mots, parce que : RESTEZ CHEZ VOUS! Avec un peu plus de nuance: merci pour le commentaire, c'est toujours un plaisir de pouvoir échanger. Nous nous sommes effectivement posé la question au sein de l'équipe et nous avons dû trancher. La demande de la Confédération est de rester au maximum chez nous et de garder 2m de distance entre les personnes si nous devons sortir. Les commerces qui vendent des produits de première nécessité sont autorisés à rester ouverts, pour autant qu'ils permettent à leurs clients et employés de respecter ces consignes. Un respect sérieux de cette condition ne nous paraît pas possible (ex. garantir 2m de distance entre le client et le vendeur lors de la passation des bières et du moyen de payement). Alors oui, d'autres commerces le font... En plus, même si nous aimons beaucoup la bière et que nous aurions de la peine à nous en passer, affirmer que c'est un produit de première nécessité en période de crise sanitaire nous met un peu mal à l'aise. Par chance, nous avons le shop en ligne et pouvons continuer d'offrir nos doux breuvages à nos clients, tout en leur permettant de respecter le confinement et de RESTEZ CHEZ VOUS!